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M&A : Pas de répit pour les banquiers d'affaires
09/2021

Sevrés de deals pendant une partie de l'année 2020, les GPs se sont rattrapés au cours d'un premier semestre d'ores et déjà historique. Jamais les professionnels du M&A n'avaient enregistré un tel niveau d'activité dans un marché où la concurrence fait rage et où les valorisations s'envolent. À l'heure actuelle, personne ne se risque à prévoir une franche accalmie pour les prochains mois.

En cette mi-septembre, l'exercice 2021 entre dans sa dernière ligne droite. À quatre mois de la fin de l'année, les paris sont donc ouverts : le private equity mondial va-t-il connaître l'année la plus active de son histoire ? La question est posée par Hugh Mac-Arthur, partner américain de Bain & Company, dans un récent commentaire de marché. « Où que l'on regarde, l'industrie du private equity devient gigantesque », constate-t-il, citant les levées et le niveau de poudre sèche des fonds qui alimentent une activité d'investissement et de sortie tout aussi inédite. À l'échelle du marché français, de nombreux praticiens du M&A s'accordent à dire qu'ils réaliseront très vraisemblablement une année historique, certains ayant même déjà quasiment bouclé plus de deals au premier semestre que pendant tout l'exercice 2020 voire 2019. « Le secteur du capital privé en France a généré une activité très soutenue au premier semestre de 2021. Il pouvait être anticipé un possible ralentissement relatif au nombre de dossiers de grande taille (supérieurs à 1 milliard d'euros). Il n'en est rien. Nous observons en fin de compte un rythme toujours soutenu d'ici à la fin de l'année et pour le début de l'année 2022, avec quelques beaux dossiers identifiés qui vont arriver sur le marché. L'activité devrait ainsi rester assez tonique dans les prochains mois », note Arnaud Bouyer, managing partner chez Morgan Stanley en charge depuis peu d'un pôle dédié au capital privé, à la manoeuvre sur les cessions récentes d'Almaviva et de Circet.

Quel que soit le segment de marché sur lesquels ils évoluent, les banquiers d'affaires parisiens n'identifient aucun signe avant-coureur d'un possible ralentissement de l'activité. « Tant que les fondamentaux de marché restent bien orientés, que les taux restent bas et que les liquidités sont abondantes, il n'y a aucune raison que le rythme diminue, abonde Jean-Baptiste Marchand, ancien de Natixis Partners désormais à la tête de sa propre structure, Amala Partners. De plus, la visibilité pourrait commencer à revenir dans les secteurs qui ont été les plus sinistrés avec la crise sanitaire : dès que les dirigeants seront capables de démontrer un début de reprise normative de leur activité, les choses pourront aller très vite. »


BANDE PASSANTE

Au-delà de ces considérations sectorielles, l'activité M&A pourrait être touchée au cours des prochains mois par l'environnement politique et macroéconomique : « Je vois deux points de passage importants pour notre industrie : l'élection présidentielle, qui peut inciter certains vendeurs à sécuriser une transaction plus rapidement, et le second semestre de 2022, quand les premières annonces de restructurations risquent d'arriver. D'ailleurs, je cherche actuellement à recruter dans ce domaine », souligne Bertrand Thimonier, président d'Adviso Partners. « Je pense que les valorisations vont continuer à augmenter compte tenu du déséquilibre persistant entre l'offre et la demande et de taux qui devraient rester bas. Nous ne sommes pas au bout de la hausse des multiples », complète Charles Guigan, fondateur d'Eurvad Finance.

Si les voyants sont globalement tous au vert, les acteurs du marché se sont bien rendu compte qu'ils ont souvent frôlé le point de rupture au cours des derniers mois. Combien de fonds ont signalé l'impossibilité d'avoir un conseil pour une due diligence ou un process en urgence, sauf à le réserver plusieurs mois à l'avance ! Toutes parties confondues, nombre d'équipes sont allées au bout de leurs capacités parce qu'il fallait déployer, rattraper le retard pris avec les confinements de 2020, composer avec une très forte concurrence, tout en assurant le suivi de participations pour qui la visibilité n'est pas toujours revenue à la normale.

Dans ce contexte, « les fonds ont un vrai problème de bande passante, donc vont sans doute se concentrer sur les dossiers qu'ils ont le plus de chances de gagner et choisir leurs combats », continue Charles Guigan, chez Eurvad Finance. Lui-même s'est quand même préparé à conserver une activité soutenue en procédant à plusieurs recrutements ou promotions ces derniers mois. « Une des clés du marché de demain est la volumétrie des ressources. Nous avons dû refuser des dossiers avant l'été par manque de moyens humains. Ce point est toutefois résolu aujourd'hui, car de nouveaux talents sont en train d'arriver chez Adviso Partners », confirme Bertrand Thimonier.

« Beaucoup d'opérations ont été bouclées au premier semestre et certains sponsors ont probablement déjà réalisé le nombre de deals qu'ils avaient prévu pour cette année, complète Paul Lombard, associé en financement chez Willkie Farr & Gallagher. Cela dit, il y a forcément eu des déçus du premier semestre qui vont rester actifs, tout en sachant que la liste des dossiers éligibles à des LBO et prisés des fonds n'est pas infinie. »


EFFET DE RATTRAPAGE

De fait, l'effet de rattrapage qui a caractérisé le premier semestre va vraisemblablement s'atténuer. La très forte activité enregistrée sur la période doit beaucoup à la sortie du « frigo » de bon nombre de deals qui ont été stoppés au moment du premier confinement. « Depuis septembre 2020, nous avons enregistré une remontée brutale de notre activité à la suite du creux du printemps, qui s'est poursuivie sur la première moitié de l'année 2021 et reste d'actualité, témoigne Michaël Azencot, associé chez Cambon Partners. Toutefois, nous observons aussi une grande sélectivité de la part des fonds qui ••• ••• concentrent leurs forces sur les meilleurs dossiers. Dans les secteurs auxquels nous sommes exposés, j'ai le sentiment que nous n'avons plus une sorte de ventre mou du marché, qui se composait d'actifs de qualité moyenne mais qui auraient fini par trouver un acquéreur ; aujourd'hui, les investisseurs se focalisent sur les plus belles sociétés, ce qui donne lieu à une inflation des valorisations. »

Dans le même temps, cet environnement de multiples élevés donne un avantage indéniable aux vendeurs qui peuvent faire monter les enchères et attendre le meilleur moment pour accepter une offre. « La croissance des valorisations a pu inciter des fonda-teurs ou des investisseurs financiers à accélérer le déclenchement d'un processus de cession, ce qui se traduit par un raccourcissement global des cycles d'investissement », observe Charles Guigan, dirigeant d'Eurvad.

Michaël Azencot, chez Cambon, reprend : « Nous voyons arriver sur le marché du LBO une pratique anglo-saxonne qui avait cours traditionnellement dans le venture : il s'agit de ces fonds qui approchent des équipes de management juste après la conclusion d'un LBO. Ils savent pertinemment que l'heure n'est pas venue de faire une offre, mais prennent des informations en prévision d'une éventuelle intervention deux ou trois ans plus tard. Cela ne nous incite pas à réduire le nombre de fonds que nous contactons lorsqu'une opération s'annonce, mais cela participe à l'accélération des process. »


PROCESS PLUS RAPIDES

Là aussi, les praticiens du M&A sont unanimes pour décrire ce phénomène. L'idée est que les fonds choisissent leurs combats et, lorsqu'ils ont jeté leur dévolu sur une entreprise, abattent un travail très important de due diligence, de prise de contact avec le management très en amont. Cela leur permet d'être prêts lorsque le process s'ouvre et, éventuellement, de court-circuiter leurs concurrents. « L'activité de marché du capital privé reste structurellement portée par des montants de capitaux en réserve ("poudre sèche") très impressionnants dont disposent les fonds d'investissement. Il existe une polarisation naturelle vers des industries faisant l'expérience de croissance sous-jacente séculaire, telles que la technologie, la santé, certains segments des biens de consommation ou l'éducation, décrypte Arnaud Bouyer, managing director chez Morgan Stanley. Mais nous voyons également que les arbitrages se font bien au-delà du seul secteur d'activité. Suscitent également une attention très positive des entreprises en croissance, participant à un processus de consolidation ou qui présentent des bonnes perspectives de rebond. Quel que soit le contexte, un paramètre demeure : compte tenu de la forte concurrence, les fonds ont la nécessité pour se différencier de prendre les sujets très en amont pour espérer tirer leur épingle du jeu. »

En pratique, rares sont les deals qui sortent avant même que la société soit sur le marché. Au premier semestre, Adista, racheté par Keensight à Equistone, et NetCo, acquis par Ardian à IK et Andera, ont été dans ce cas. Cet été, le britannique Wren House Infrastructures n'a pas attendu le démarrage du process de vente d'Almaviva par Antin Infrastructure Partners - qui était plutôt prévu pour démarrer courant octobre - pour déposer une offre. « Les préemptions que l'on voit sont le plus souvent en cours de process, confirme Charles Andrez, managing partner chez Lazard. Dans un marché dynamique comme celui que nous avons connu au premier semestre, les enchères passent rarement le cut du deuxième tour, car les fonds ont fait le gros du travail d'examen avant et sont donc prêts à s'engager très vite. »

Cette surveillance des meilleurs actifs permet aussi à certains investisseurs malheureux de se rattraper rapidement : Permira s'est fait doubler par Insight Partners dans le dossier Iad (tour à 300 millions d'euros), mais a ac-quis quelques semaines plus tard une participation minoritaire au capital de son concurrent Safti, de surcroît avant la mise sur le marché de la société. Il a racheté une partie des titres détenus par Qualium, actionnaire du réseau immobilier depuis 2018, tandis que le management conserve la majorité du capital.


SÉDUIRE LE MANAGEMENT

Pour parer à toute éventualité et mettre le plus de chances de leur côté, les fonds travaillent également leurs offres de financement. « Les sponsors nous demandent de plus en plus souvent de travailler plusieurs structures de financement pour un deal donné, dans un contexte de forte concurrence, explique Paul Assaël, nouveau responsable de l'équipe Debt advisory d'Edmond de Rothschild Corporate Finance arrivé de chez Clearwater. Ils ne veulent prendre aucun risque et souhaitent montrer au management, à qui ils laissent le choix final, qu'ils peuvent faire preuve de flexibilité. Certains nous demandent aussi de passer du temps avec les équipes de direction pour leur expliquer les différentes possibilités. » De même, a repéré Michaël Azencot, associé chez Cambon, « certains fonds midcaps sont prêts à déclencher des mécanismes d'intéressement des dirigeants relativement tôt, en écho aux pratiques large cap. Il y a quelques années, il ne fallait rien espérer avant l'atteinte d'un multiple de 2 fois la mise. »

D'autres outils juridiques sont également à la main des équipes d'investissement pour sécuriser au maximum leurs opérations. « Les sponsors protègent leurs meilleurs actifs et, de plus en plus souvent, réinvestissent à l'occasion du LBO suivant ou créent des continuation funds pour le conserver. Dans la mesure où le fonds est assuré de faire la transaction, la probabilité de faire le deal est plus élevée et ses prêteurs sont plus motivés pour participer à des processus compétitifs, détaille Paul Lombard, associé chez Willkie Farr & Gallagher. Par ailleurs, nous voyons de plus en plus de clauses de covenant reset contractuel : elles permettent aux sponsors de relever les niveaux de covenants afin de retrouver des marges de manoeuvre financières à l'occasion d'un releverage. À l'inverse, on ne voit plus de clauses de Material Adverse Change et les clauses de Material Adverse Effect, qui déclenchent un cas de défaut si un événement grave survient dans la vie du deal et obligent à remettre à plat toute la structure, sont rédigées de manière de plus en plus restreintes. »


« Je vois deux points de passage importants pour notre industrie : l'élection présidentielle, qui peut inciter certains vendeurs à sécuriser une transaction plus rapidement, et le second semestre de 2022, quand les premières annonces de restructurations risquent d'arriver. D'ailleurs, je cherche actuellement à recruter dans ce domaine »
 
Bertrand Thimonier, Adviso Partners


PRÊTEURS EN SURCHAUFFE

Dans cet environnement de marché hyperactif, les prêteurs sont eux aussi fortement mis à contribution. « Les fonds de dette privée bénéficient d'un avantage sur les banques dans le contexte actuel, car ils peuvent faire preuve de plus de rapidité dans la remise de leurs offres de financement. Nous voyons quelques acteurs de l'uni-tranche se positionner sur des petits deals, parfois à la surprise des banques qui ne s'attendaient pas à les voir sur ce segment. Cela dit, si un pool de banques est déjà en place, leur connaissance de l'actif peut aider à respecter le timing serré des processus actuels et proposer des solutions compétitives, analyse Paul Assaël. En matière de structuration, nous avons vu plusieurs senior + PIK arrangées sur des opérations plus petites qu'avant, permettant à un fonds unitranche de bridger une opération et de laisser plus de temps pour peaufiner la structure finale de financement. Cela permet également à certains fonds uni-tranche d'avoir des lignes à meilleur rendement dans leurs portefeuilles. »

Après avoir vécu un premier semestre de surchauffe, les fonds de dette et banques pourraient avoir à traiter des sujets de refinancement au cours des mois à venir. « Les fonds ont été très pris par de nouvelles acquisitions ou cessions ces derniers mois, mais devraient accélérer les stratégies de croissance externe de leurs participations rapidement, poursuit Paul Assaël. Cela pourrait amener à un accroissement des refinancements dans les prochains mois alors que nous en avons vu assez peu pendant le premier semestre. »