Moins de deals mais à des valorisations
stratosphériques, tel est le résumé d'une année
2020 atypique qui n'a fait qu'accélérer les tropismes
sectoriels et l'appétit pour les actifs résilients.
CONTRAIREMENT À LA CRISE FINANCIÈRE
DE 2008, le covid a été un accélérateur de
grosses transactions comme en témoignent
les statistiques du M&A portant sur l'année
2020, malgré le gel des quelques mois
de confinement et le « stop and go » de
l'économie toujours en vigueur. Les cibles
françaises ont attiré 74 % d'offres de plus en
un an, à 113,2 Mds$, un plus haut depuis 2017,
selon Refinitiv, avec le retour des grandes
manoeuvres incarné par la bataille entre les
deux géants de l'eau Veolia et Suez. Mais
si le M&A en valeur a connu une hausse de
8 % par rapport à 2019, le nombre de deals
a lui été impacté par la situation sanitaire et
l'effet report de certaines transactions, quand
d'autres ont été carrément annulées pour des
secteurs touchés durablement par les effets
de la pandémie. Mergermarket pointe ainsi une
baisse du volume de près d'un quart en 2020,
malgré la frénésie des deals
dans le secteur techno,
de loin le plus prolifique
avec 127 transactions
enregistrées dans
l'année. L'année 2020
a aussi été marquée
par les offensives
des entreprises
françaises sur des
cibles étrangères
illustrées par le rachat
du bijoutier Tiffany par
LVMH pour un montant
de 14,7 Mds€ après ajustement post-covid, de la branche transport
de Bombardier par Alstom pour 5,5 Mds€
l'acquisition par Schneider de l'américain Osisoft
pour 4 Mds€, celle des laboratoires Servier de
l'activité oncologie de la biotech américaine
Agios Pharmaceuticals pour une valorisation
de près de 2 Mds$ ou encore l'acquisition par
l'opérateur paneuropéen Euronext de Borsa
Italiana pour 4,3 Mds€. D'ailleurs l'anémie
qui touchait les opérations boursières ces
dernières années ne s'est pas particulièrement
accrue en 2020. D'après les résultats du 12e
Observatoire des offres publiques d'EY publié
début février, le nombre d'offres publiques et
d'IPO s'est globalement maintenu en 2020
avec 29 offres publiques et 8 introductions
en bourse. En compensant largement la
baisse d'activité observée en première moitié
d'année, le dernier trimestre a laissé entrevoir
un regain de dynamisme transactionnel
pour 2021. « À l'exception de l'opération
d'envergure de Worldline sur Ingenico, l'année
a connu des acquisitions de sociétés de taille
globalement modérée et les introductions
en bourse ont également été menées très
majoritairement dans le compartiment
d'Euronext Growth. Contrairement à 2019,
avec l'emblématique IPO de La Française
des Jeux, aucune opération significative n'a
eu lieu cette année », constate Julie Madjour,
associée EY, Strategy & Transactions.
Polarisation sectorielle. Sur le front du non
coté, les valorisations des entreprises du mid
market européen ont renoué avec les multiples
à deux chiffres d'avant-crise selon la dernière
édition du baromètre Argos Index Mid Market
publiée en novembre dernier. Un constat
qui révèle une polarisation sectorielle accrue
puisque plus de la moitié des opérations de
M&A recensées par ce baromètre pendant les
trois premiers trimestres 2020 ont concerné
les secteurs de la santé et du digital. Cette
concentration sur les seuls secteurs résilients
explique la remontée des valorisations des
PME européennes à leur record pré-covid.
Après une chute des valorisations au précédent
trimestre à 9,2 fois l'Ebitda, le prix médian payé
pour l'acquisition d'une PME-ETI non cotée
européenne repasse au-dessus de la barre
des 10 fois l'Ebitda. « Il peut y avoir un risque
de surchauffe sur les secteurs de la santé et
du digital, concède Louis Godron, managing
partner d'Argos Wityu pendant la conférence
de presse en marge du baromètre. Mais les
valorisations sont tirées essentiellement par les acquéreurs stratégiques, en majorité de
grandes sociétés cotées qui ont bénéficié de
la remontée rapide des marchés action, et
ont payé en moyenne 10,5 fois l'Ebitda pour
leurs acquisitions. » Tandis que les fonds de
private equity se sont montrés plus prudents
avec des valorisations moyennes stables à
9,2 fois l'Ebitda. « Aujourd'hui, les « trade
buyers » ont gagné en rapidité d'exécution
et n'ont pas besoin de perdre de temps dans
des analyses stratégiques de cibles dont ils
maîtrisent le marché, ce qui les avantage dans
les process « dual track » face à aux fonds »,
soutient Éric Félix-Faure, associé du conseil en
fusions- acquisitions Oaklins. « Compte tenu
de la faiblesse de la croissance économique,
les entreprises cherchent des synergies
additionnelles par des acquisitions, d'autant
que les financements restent prolifiques »,
affirme de son côté Bertrand Thimonier,
président-fondateur du cabinet de conseil
en fusions-acquisitions Adviso Partners.
Opérations cross-border. Ainsi, dans les
secteurs les plus immunisés, comme la tech,
la santé et l'agrobusiness, les acquéreurs
stratégiques ont fait montre d'un appétit
certain, y compris dans les opérations crossborders
que l'on aurait pu supposer en suspens
en raison de la difficulté de voyager. Certaines
transactions ont même pu être « favorisées »
paradoxalement par les restrictions de
déplacement, rendant accessibles des
acheteurs industriels qui n'ont plus à caser
dans leur agenda un chronophage New
York-Clermont... « Les corporates étrangers
qui avaient tendance à reporter l'acquisition
de petites cibles nécessitant un déplacement
spécifique ont été en
quelque sorte
désinhibés par la
généralisation des visios qui leur a dégagé de la bande
passante et rapproché des acquisitions
lointaines », analyse Éric Félix-Faure, chez
Oaklins, qui a notamment accompagné
fin décembre la cession d'Oré Peinture, un
fabricant angevin de produits de peinture
pour le marquage routier, au danois Geveko
Markings qui s'ouvre une porte sur le marché
hexagonal. Avant, pendant et après le
confinement, les investisseurs internationaux
ont regardé le marché français avec à la clé
des acquisitions pour lesquelles ils n'ont pas
hésité à aligner des multiples stratosphériques.
Comme ce fut le cas encore tout récemment
de la filiale belge du producteur lyonnais de
principes actifs pour l'industrie pharmaceutique
Novasep que l'américain Thermo Fisher a
valorisée en janvier 725 M€ soit près de 10 fois
le chiffre d'affaires. Il faut dire que cette
activité spécialisée dans les vecteurs viraux
a remporté le contrat de production pour
l'Europe du vaccin anti-covid d'AstraZeneca,
c'est dire son importance stratégique pour
le géant américain Thermo Fisher, avec ses
25 Mds$ de revenus annuels, qui recherchait
une cible européenne, après avoir jeté
son dévolu sur le spécialiste américain de
thérapie génique Brammer Bio en 2019.
Le M&A en pharma sous-calibré. Et encore,
l'industrie pharmaceutique est loin d'avoir
atteint son potentiel d'acquisitions ces derniers
mois, selon la neuvième édition de l'enquête
mondiale d'EY sur les fusions-acquisitions
dans l'industrie biopharmaceutique. Un seul
méga deal est à noter pour l'année 2020 :
celui de l'anglo-suédois AstraZeneca, qui a
acheté l'américain Alexion Pharmaceuticals
en décembre dernier. À elle seule, cette
transaction vertigineuse de 39 Mds$
représente près d'un quart du total des
fusions-acquisitions de l'année dans le secteur.
Pourtant, le rapport d'EY montre que la
« puissance de feu » des entreprises du secteur
a atteint des records en 2020. Cette force
de frappe est définie par la capacité d'une
entreprise à réaliser des fusions-acquisitions
sur la base de sa capitalisation boursière et
de la stabilité de son bilan. Celle des Medtech
a par exemple augmenté de 41 % en 2020.
Cependant, seuls 12 % de ces capacités
auraient été utilisés par les entreprises du
secteur en 2020 selon le rapport EY, qui
explique cette sous-activité par la focalisation
des labos pharmaceutiques sur les alliances
pour accéder à des technologies ou des
produits incontournables, notamment dans
le domaine du numérique. Cette étape
d'alliance s'apparente toutefois souvent à
des préliminaires qui augurent un « pipeline
» fourni d'opérations de fusions-acquisitions
dans le secteur, une fois que
la stabilisation de l'épidémie permettra
d'y voir plus clair entre les gagnants et
les perdants de cette crise sanitaire.
Voir l'article au format PDF